Ou pourquoi on a tant envie de raclette en hiver
Par Laurent Kurtzemann, coach nutrition et trail – Article extrait de la revue Présence Nordique n°57
Si vous lisez ces lignes sur une chaise longue de votre restaurant d’altitude préféré, prenez un moment pour en étudier le menu. Il est probable que vous y trouviez plus de plats à base de fromage fondu que de salades composées. C’est un signe qui ne trompe pas. L’hiver est là, et le froid avec. Aussi, vous croyez avoir plus faim et vos efforts vous paraissent plus durs. Vous pensez donc que vous devez manger plus pour maintenir vos niveaux d’énergie. Mais si je vous disais que votre cerveau vous joue peut-être des tours et que cette envie de raclette n’est en fait… qu’une envie, et pas un besoin ?

Qu’est-ce que le froid ?
Avant d’aller plus loin, une petite définition du froid s’impose. Il faut savoir que pour une personne nue et immobile, la neutralité thermique se situe à environ 26°C. C’est-à-dire que si vous vous trouvez sans rien faire, en tenue d’Adam ou d’Ève, à l’ombre et à l’abri du vent, le tout à une température ambiante de 26°C, vous n’aurez ni chaud ni froid.
En dessous de 26°C, vous commencerez à avoir froid et votre corps devra trouver des moyens de maintenir sa température interne à 37°C. Pour ce faire, il commencera par frissonner : ces contractions musculaires involontaires produiront ainsi de la chaleur. Un thermostat interne en quelque sorte. Votre corps préservera aussi sa température interne aux dépends de sa température cutanée. En limitant l’apport sanguin au niveau de l’épiderme, pour le diriger vers les organes plus importants à sa survie. Les mains et les pieds froids, ça vous parle ?
Bien sûr, cette température de neutralité pourra être abaissée considérablement selon les vêtements que vous porterez.
A l’inverse, au-dessus de 26°C -et beaucoup moins si vous êtes couverts et faites une activité physique- vous commencerez à avoir chaud et votre corps devra éliminer la chaleur en transpirant.
Quand parle-t-on réellement d’activité physique dans le froid ?
Nous sommes d’accord que 26°C, ce n’est pas froid du tout. Surtout lorsqu’on bouge, même tranquillement. Si le froid peut être atténué par de bons vêtements, il existe quand même certaines températures sous lesquelles les fédérations sportives ne mettent pas leurs athlètes dehors. En ski de fond ou le biathlon par exemple, la Fédération Internationale de Ski annule ou reporte toute compétition à partir de -20°C. Et en plus de la valeur brute du thermomètre, il faut aussi prendre en compte la durée de l’effort, et surtout la vitesse du vent qui a vite fait de faire passer une petite gelée pour un froid polaire.
L’effet Windchill :

Dans ce tableau, le risque de gelures et d’hypothermie (voire pire) devient sérieux à partir de la zone rose clair.
Attention donc si vous vous trouvez dehors par grand froid et grand vent.
Ai-je besoin de manger plus quand il fait froid ?
Comme je vous l’ai expliqué plus haut, lutter contre le froid passe par la conservation de sa température corporelle et donc par la production de chaleur. Manger suffisamment aide à cela. Mais est-il pour autant nécessaire d’augmenter ses rations en hiver ? La réponse est complexe.
D’un côté, certaines études nous disent que des individus peu actifs physiquement brûleraient environ 86 calories (c’est très précis une étude scientifique) de plus par jour en automne et en hiver qu’au printemps et en été, pour une variation de poids d’environ 500 g sur l’année. 86 calories c’est l’équivalent d’une pomme et si vous prenez ou perdez 500 g, vous ne vous en rendrez même pas compte. Un point dans le camp du « Je n’ai pas besoin de plus manger quand il fait froid ».
D’un autre côté, d’autres études tendent à prouver qu’on consomme plus d’énergie quand on fait du sport dans le froid. Entre 10% et 40% de plus, comparativement à un entraînement dans des températures normales. Mais ces chiffres peuvent être trompeurs car la population principalement étudiée est très particulière, à savoir des militaires en opérations ou en missions d’entraînement. Des personnes lourdement équipées et qui ne sont pas là pour prendre du bon temps. En revanche, je n’ai pas trouvé d’études probantes sur des personnes comme vous et moi, ou même sur des athlètes de haut niveau. Le froid en tant que tel ne semble donc pas être un facteur déterminant dans la dépense énergétique. C’est plutôt ce qui « entoure » le froid qui a un effet important. Comprenez par là que c’est le poids des vêtements et des équipements additionnels qui est la cause la plus probable de l’augmentation du coût énergétique de l’exercice dans le froid. On est aussi souvent moins à l’aise sur des terrains gelés ou enneigés, ce qui augmente encore la dépense énergétique totale comparée aux mêmes efforts réalisés en environnements tempérés ou chauds et sur des terrains stables.
On peut donc conclure que ce qui augmente les besoins énergétiques en hiver, à condition de porter des vêtements adaptés évidemment, c’est une activité physique plus importante du fait des contraintes extérieures. Si vous dépensiez le même nombre de calories en été, vous auriez aussi besoin de plus manger.
Rares sont celles et ceux qui passent leurs journées d’hiver dehors à s’entraîner : prenez donc en compte (ou pas !) cette dépense supplémentaire, tout en ne l’exagérant pas.
Mais alors, pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’avoir plus faim en hiver ?
C’est là qu’on reparle de la raclette au coin du feu. Si le BESOIN de manger plus en hiver n’est pas complètement prouvé, l’ENVIE de plats plus consistants est elle bien réelle.
Il n’y a pas de consensus sur ce sujet, mais quelques pistes sont intéressantes et pourraient expliquer au moins en partie cette soudaine envie de gras et de sucre.

- L’hiver, nous vivons plus à l’intérieur et passons souvent plus de temps devant des écrans qu’en été. Tout cela perturbe notre cycle de sommeil, en particulier notre production de sérotonine, une hormone clé pour la production d’une autre hormone, la mélatonine, qui aide à s’endormir la nuit. Parallèlement, l’hiver est aussi la saison où par manque d’exposition au soleil nous risquons de manquer de vitamine D, très importante pour la production de sérotonine. Jusque-là, rien de grave, il suffit de faire plus attention à son sommeil et d’éventuellement se complémenter en vitamine D. Sauf que là où ça se gâte niveau nutrition, c’est quand on sait que les glucides ont la particularité de faire monter le taux de sérotonine dans l’organisme. C’est pourquoi on a souvent plus envie de sucre en hiver.
- L’évolution a peut-être aussi laissé quelques traces. Manger plus quand les températures commencent à baisser serait un réflexe archaïque et inconscient visant à faire des réserves (sous forme de graisses) en vue de mieux passer l’hiver, quand la nourriture est moins abondante. Cela n’a plus de sens pour nous aujourd’hui, mais pour nos lointains ancêtres c’était vital.
- Nous prendrions aussi nos repas plus rapidement en automne que durant les autres périodes de l’année. Cela pourrait confirmer le point précédent, car quand on mange vite, on mange généralement plus.
- En hiver, on s’entraine aussi généralement moins qu’en été. Or l’exercice a un effet coupe faim pendant quelques temps après l’effort. Avec moins d’exercice ce phénomène est donc moins important, ce qui peut donner l’impression qu’on a plus faim.
- Le choix des aliments joue peut-être aussi un rôle : les fruits et légumes hivernaux sont parfois perçus comme moins variés que ceux de l’été, ce qui peut engendrer de la lassitude, une moindre envie de cuisiner et donc une tendance à aller vers des plats prêts plus rapidement et bien souvent plus riches. S’ajoute à cela le poids des traditions de fin d’année, et on comprend vite pourquoi la salade-grillades estivale laisse facilement la place à la fameuse raclette.
Quoi manger quand il fait froid ?
Comme vous l’aurez compris, en ce qui concerne vos besoins énergétiques, il a peu de différences entre l’été et l’hiver. Par contre, un mode de vie plus sédentaire et plus axé indoor peut vous jouer quelques tours. Alors, si je devais résumer cet article en quelques conseils, ce serait les suivants :
- Gardez la manière de manger qui vous convient, écoutez votre faim tout en mangeant lentement. Privilégiez les aliments de saison mais n’en faites pas une règle absolue. Un petit extra de temps en temps vous aidera à attendre les beaux jours et les produits qui vont avec.
- Évitez les hypoglycémies : les muscles ont besoin de glucides pour fonctionner correctement et produire de la chaleur.
- Soignez votre sommeil, et pensez à la vitamine D si besoin.
- Buvez un peu plus que d’habitude. Chose valable en hiver comme en été, l’hydratation revêt une importance majeure en altitude car la déshydratation y est plus rapide et insidieuse qu’en plaine.
- Gardez votre manière de vous ravitaillez lors d’efforts longs, il n’est pas utile de changer cela.
Contact : laurent.kutzemann@gmail.com